Aux divers responsables des Ecoles Doctorales, des DEAs, des laboratoires,
aux directeurs de thèse et à tous les chercheurs en général
La Commission Jeunes Chercheurs
(CJC) de l'Observatoire de
Paris souhaiterait préciser quelques points concernant sa
participation à l'article "Le blues des docteurs" paru dans
le "Ciel
et Espace" de septembre, au vu des réactions surprenantes qu'elle
a
reçues.
En premier lieu le but recherché
n'était pas de s'attaquer à
l'École Doctorale (ED) d'Astronomie et Astrophysique d'Ile de
France,
ni à une autre ED en particulier, ou de régler des comptes
avec qui
que ce soit. La journaliste nous a demandé notre avis sur la
situation
des jeunes chercheurs, et nous l'avons donné à partir
des témoignages
que nous recevons régulièrement. Nous savons que la plupart
des thèses
se déroulent bien. Cependant des problèmes existent dans
de trop
nombreux cas, ils conduisent dans les pires situations à l'abandon
de
la thèse (1 à 2 par an dans l'ED d'IdF) et de façon
bien moins lisible
extérieurement ils sont responsables du départ, peu après
leur
soutenance, de docteurs écoeurés par la recherche et
les conditions
dans laquelle elle s'effectue.
C'est pourquoi nous réaffirmons
tous nos propos dans cet
article, qui n'a rien déformé de la réalité
d'une partie des
difficultés rencontrées par les doctorants et jeunes
docteurs. La
seule inexactitude, à notre connaissance, concerne les propos
de
Bertrand Stepnik (ne faisant pas partie de la CJC) qui parlait de
l'IAS et non du DEA.
L'article n'est certainement
pas complet, par exemple il ne
met pas l'accent sur la majorité des cas où la thèse
se déroule bien,
de même il ne parle pas des financements de thèses autres
que
l'allocation du ministère. Mais il décrit le sentiment
de malaise
ressenti par une très grande partie des doctorants et post-doctorants
et nous pensons que c'était le but recherché par son
auteur. Nous
avons reçu par ailleurs nombre de réactions positives
de jeunes
chercheurs (en poste permanent ou non) se reconnaissant dans le
tableau dressé par la journaliste. Il est regrettable que nos
propos
aient choqué certaines personnes, mais nous voulions que ceux
qui
n'ont pas conscience de la réalité de la situation des
jeunes
chercheurs sortent de leur tour d'ivoire. Nous pensons qu'il est
honteux de considérer que tout va bien pour tout le monde, que
nous
devrions être heureux de travailler pour un salaire si faible
ou de
nous expatrier pendant des années en renonçant à
notre vie privée dans
l'espoir d'un hypothétique recrutement en France, simplement
parce que
nous "faisons un métier qui nous plaît". Ce n'est pas
une raison pour
accepter n'importe quelles conditions de travail.
Nous sommes étonnés
du nombre de personnes qui semblent ne pas
admettre la réalité du malaise des jeunes chercheurs
et de la
difficulté pour eux d'obtenir un emploi permanent satisfaisant
que ce
soit dans le secteur public ou privé. Cet aveuglement face à
des faits
dérangeants est-il réel, ou feint de peur de conséquences
néfastes ?
Le rôle de la CJC étant d'aider les jeunes chercheurs,
elle ne peut
pas accepter l'adoption d'un silence consensuel sur les aspects
négatifs du déroulement de leur recherche et encourage
au contraire le
dialogue. Les doctorants qui n'osent pas parler de leurs problèmes
à
des responsables sont encore trop nombreux. Ils ont chaque fois la
même peur - celle de s'attirer plus d'ennuis - et ils recoivent
sous
ce prétexte presque à chaque fois le même message
de la part de leur
entourage de travail - ne surtout rien dire, ne pas se faire
remarquer. Il est notable que lorsque certains doctorants de notre
connaissance ont eu le courage de parler de leurs problèmes
ou de
suggérer quelques améliorations dans leur laboratoire,
ils ont reçu
des réactions d'incompréhension similaires à certaines
qu'a suscitées
l'article dans Ciel et Espace.
Nous espérons agir
dans l'intérêt des jeunes chercheurs, d'une
part en les poussant à parler et à ne pas rester passifs
devant les
obstacles qu'ils rencontrent, d'autre part en décrivant les
problèmes
sans complaisance et en réclamant des changements en conséquence,
particulièrement lorsque des solutions assez faciles à
mettre en place
existent.
Nous encourageons tout débat
qui pourra être mis en place à ce
sujet au sein de chaque laboratoire ou École Doctorale, afin
que le
dialogue s'installe entre jeunes chercheurs et chercheurs en poste
permanent, que les problèmes soient abordés et des actions
engagées
dans la mesure du possible. Nous donnons quelques exemples d'actions
à
la fin de cet e-mail.
Nous sommes conscients de
la difficulté de la tâche que nous
proposons puisque nous souhaitons principalement changer les
mentalités et les agissements, de certains chercheurs permanents
pour
qu'ils se préoccupent et s'occupent mieux de leurs
doctorants/post-doctorants, et des jeunes chercheurs pour qu'ils
soient plus actifs et efficaces à régler leurs problèmes.
Nous avons
donc besoin de la bonne volonté de tous pour changer les choses
et
nous vous remercions de l'aide que vous pourrez apporter !
La CJC, Commission Jeunes Chercheurs de l'Observatoire de Paris.
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Exemple d'actions:
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# AU NIVEAU DE LA THESE:
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
- Les Ecoles Doctorales doivent rappeler aux responsables
des
laboratoires et aux directeurs de thèse que lorque ces derniers
prennent un doctorant, ils s'engagent à certaines responsabilités,
par
exemple à ne pas prendre 2 doctorants de la même année
en même
temps. De plus ils doivent clairement expliquer au doctorant la
situation du recrutement dans le domaine de la thèse, dans le
laboratoire et par rapport à leur propre capacité d'influence.
Ils
doivent aussi respecter les choix d'orientation du doctorant si
celui-ci ne veux pas continuer dans le domaine de la recherche après
sa thèse et lui assurer de bonnes conditions jusqu'à
sa soutenance.
- Nous encourageons la mise en place d'un bilan de compétence
tout
au long de la thèse, comme par exemple l'expérience de
l'écriture d'un
chapitre de thèse à ce sujet, qui se développe
dans l'Ecole Doctorale
d'Ile de France. Il faut formaliser le fait que la thèse comporte
de
nombreux échanges entre encadrants et doctorant, et que ce dernier
doit avoir clairement acquis à la fin de sa thèse des
compétences
utilisables en dehors du domaine de la recherche académique.
- Pour lutter contre les problèmes de suivi de thèse
en général,
nous proposons la mise en place d'un "parrain de thèse", qui
comme le
prévoit la Charte des Thèses, sera une personne extérieure
au travail
de thèse que le doctorant rencontrera régulièrement
(au moins une fois
par an) et qu'il sera susceptible de consulter en cas de problème.
Ce
parrain sera ainsi un médiateur, il doit être choisi par
le doctorant
de façon libre et non être une relation du directeur de
thèse, simple
nom sur un bout de papier.
# LE POST-DOCTORAT:
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
- Même lorsque la thèse s'est bien déroulée,
il faut comprendre
qu'un jeune docteur ne soit pas enthousiaste devant l'avenir qui
l'attend, avec 1 chance sur 4 ou sur 5 d'obtenir un poste permanent
dans la recherche astrophysique. Pour information, nous avons lancé
un
sondage auprès des post-doctorants et anciens post-doctorants
dont
vous pouvez trouver les résultats sur le site de la CJC :
http://wwwusr.obspm.fr/commissions/cjc/sondage/index.html
A ce sujet nous précisons que nous appelons "post-doctorant"
tout
docteur occupant un emploi à durée déterminée
dans la recherche, donc
ce terme inclue les ATERs et les CDDs, même ceux bien rémunérés
dans
de grands instituts astronomiques ce qui ne constitue pas une
insertion professionnelle.
- Les post-doctorants, en plus de la tension due à
la compétition
scientifique pour obtenir un poste permanent, ont de nombreuses
raisons de mécontentement dont on peut facilement faire une
liste (non
exhaustive) puisqu'elles ne sont toujours pas évidentes pour
certains :
* l'expatriation pendant plusieurs années et les problèmes
que cela
entraîne par rapport à la vie privée
* la longueur de la période précédant un possible
recrutement sur un
poste permanent : de nouveau problèmes par rapport à
la vie privée,
trouver un nouveau financement et changer de lieu/pays de vie, choix
très délicat de rester dans un emploi temporaire souvent
à l'étranger
sans aucune certitude de recrutement ou d'abandonner la recherche pour
trouver un emploi permanent
* la dispersion des concours de recrutement dans l'année ce
qui
complique les choses pour les post-docs qui doivent revenir en
France pour cela (frais de voyages multipliés, difficultés
avec leur
institut...)
* la limite d'âge au concours CNRS CR2
* le manque de transparence de la politique des laboratoires par
rapport aux recrutements (ex: informations sur le classement et les
priorités thématiques difficiles voire impossible à
obtenir)
* meme chose pour les commissions de recrutement
* l'hypocrisie fréquente de responsables (thèse, laboratoire,
commissions ...) sur les chances réelles du post-doctorant aux
concours
* le manque d'indépendance des décisions des commissions
entre elles
conduisant à des situations aberrantes pour certains candidats
selon
que l'une ou l'autre des commissions a délibéré
la première
- Nous demandons aux directeurs de laboratoires et représentants
étudiants de laboratoire d'associer leurs efforts afin de présenter
chaque année, aux Écoles Doctorales et publiquement,
une liste des
jeunes chercheurs présents dans le laboratoire - doctorants
classés
par année de thèse, post-doctorants et nouveaux chercheurs
permanents
- ainsi qu'un descriptif du devenir des docteurs issus du laboratoire
les cinq années précédentes. Ces statistiques
permettront aux jeunes
chercheurs de bien connaître la situation des laboratoires avant
de
s'engager dans des actions importantes pour la suite de leur carrière.